L’IHU HealthAge, seul IHU en France exclusivement dédié au vieillissement, a été officiellement lancé le 2 avril 2024. Quelles sont ses objectifs, ses missions, ses ressources, ses collaborations internationales ?
La création de l’IHU HealthAge sur la prévention, la géroscience et la longévité en santé a été une longue expérience. Nous avons débuté il y a plus de 12 ans au premier appel d’offre sur les IHU et nous avions proposé un dossier centré sur la fragilité. A l’époque, peu de monde parlait de la fragilité. Nous n’avons pas été retenus mais nous avons créé le premier Hôpital de Jour de la Fragilité, développé la fragilité dans la pratique clinique et nous avons été ensuite reconnus par l’OMS comme Centre Collaborateur de l’OMS sur la fragilité et la prévention de la dépendance. Nous avons recandidaté quelques années plus tard, nous avons été alors présélectionnés mais un seul IHU a été finalement sélectionné, celui de la vision à Paris et Carole Delga, Présidente de Région, qui était venue avec nous à l’oral, m’ a téléphoné quelques jours plus tard en me disant : « votre projet me paraît très important » et elle nous a donné des financements importants de la Région et d’autre part des fonds FEDER européens que nous avons pu obtenir pour mettre en place les cohortes de l’IHU avec la cohorte INSPIRE-T qui est une cohorte de 1 000 personnes âgées de 20 à 100 ans que nous allons suivre pendant 12 ans pour travailler sur l’âge biologique. D’autre part la cohorte de souris INSPIRE de 1 500 souris qui ont été suivies pendant 24 mois afin de recueillir tous les échantillons, les tissus pour mieux comprendre les mécanismes biologiques du vieillissement et enfin des colonies de poissons Killifish qui vivent environ 6 mois mais qui ont un patrimoine génétique qui n’est pas très éloigné de l’homme ce qui en fait un très bon modèle du vieillissement. Nous avons concouru à nouveau pour le dernier appel d’offre et nous avons finalement été financés. Entre-temps nous avions fait venir à Toulouse le Professeur Felipe Sierra qui dirigeait la recherche sur la biologie du vieillissement au National Institute of Aging du gouvernement américain et qui nous a orienté dans le domaine de la géroscience.
Les objectifs de l’IHU sont de permettre le vieillissement en bonne santé. Nous allons passer maintenant en moyenne 30 % de notre vie après 60 ans. Nos sociétés n’ont jamais été confrontées à ce phénomène qui peut être une opportunité si ce vieillissement se fait de façon active, productive, solidaire et aidante et c’est possible ou qui peut être une catastrophe s’il continue à se faire massivement vers la dépendance, ce qui est à la fois un drame humain, un coût considérable pour notre société et nous n’avons plus les ressources humaines pour nous en occuper.
Les missions de l’IHU sont d’une part de développer le programme ICOPE de l’OMS qui a été mis en place afin de maintenir les fonctions ; car vieillir en santé, bien vieillir, selon la définition de l’OMS c’est garder nos fonctions pour continuer à faire ce qui est important pour chacun d’entre nous. L’OMS a identifié 6 fonctions essentielles à maintenir qui sont la vue, l’audition, la mémoire, le bien-être psychique, la mobilité et la nutrition. Le maintien de ces fonctions ne doit pas se faire de façon isolée, mais intégrée (le I de ICOPE, Integrated Care for Older Adults) car ces fonctions interagissent les unes sur les autres. Nous avons développé le programme ICOPE. Nous l’avons digitalisé avec le programme ICOPE Monitor grâce au soutien de l’ARS Occitanie, du Ministère et nous suivons actuellement plus de 64 000 personnes dans le programme ICOPE Monitor Digital et 200 nouveaux chaque jour, la plupart d’Occitanie mais aussi de la France entière. Je tiens à remercier ici toutes les équipes qui travaillent ainsi dans l’innovation. Une autre mission de l’IHU est de mieux comprendre le pourquoi de la baisse de ces capacités intrinsèques et c’est pour cela que nous avons mis en place les cohortes dont je vous ai parlé afin d’avoir toutes les ressources nécessaires pour travailler notamment sur la meilleure compréhension de ces mécanismes et sur l’âge biologique. Les ressources sont donc d’une part toutes ces cohortes et d’autre part toutes les ressources humaines avec les forces du Gérontopôle de Toulouse, labellisé par le Ministère de la Santé, et toutes les équipes INSERM des grands instituts de recherche qui se sont associées au programme avec bien sûr le CERPOP sur l’épidémiologie du vieillissement dont nous faisons partie intégrante avec l’équipe MAINTAIN mais aussi RESTORE qui est un institut de recherche INSERM centré sur la biologie du vieillissement, l’I2MC ainsi que INFINITY et bien sûr les forces de l’Université de Toulouse, Paul Sabatier.
Les collaborations à l’international sont nombreuses. Nous sommes Centre Collaborateur de l’OMS donc nous devons développer des actions de l’OMS dans le monde entier. Nous travaillons étroitement avec le Buck Institute, San Francisco, également avec les équipes du Professeur Mike Weiner qui a mis en place la grande étude ADNI aux Etats-Unis qui est un modèle pour notre étude INSPIRE. Elle a permis de valider un certain nombre de biomarqueurs dans la maladie d’Alzheimer ce que nous comptons faire dans le cadre du vieillissement. Nous travaillons également avec Paul Aisen de l’Alzheimer Therapeutic Research Institute, San Diego, l’Université du Nouveau Mexique où nous mettons en place ICOPE dans le cadre de MEDICAID mais aussi d’autres collaborations dans de nombreux pays notamment l’University of Science and Technology of China.
Qu’est-ce que la géroscience ? En quoi ouvre-telle de nouvelles perspectives de prévention de l’apparition des maladies chroniques ?
Le vieillissement est le principal facteur de risque des pathologies liées au vieillissement. Tout le monde est d’accord, plus nous vieillissons plus nous avons de risques d’avoir des pathologies qu’elles soient cancéreuses, cardiovasculaires ou neurodégénératives. Jusqu’à maintenant, nous avons dit que le vieillissement était un facteur qui était non modifiable et c’est là que nous nous sommes sans doute trompés. Ce qui est non modifiable c’est notre âge civique, notre âge chronologique mais notre âge civique explore le nombre d’années que nous avons passé sur terre mais pas le véritable processus biologique du vieillissement. Or ce processus biologique du vieillissement existe. C’est lui qui est à l’origine des pathologies du vieillissement et lorsque nous pourrons mieux le mesurer là nous pourrons mesurer l’âge biologique et mieux comprendre son rôle dans l’apparition de pathologies.
Ce sera peut-être une grande révolution de la médecine. A partir du moment où le processus biologique du vieillissement est à l’origine des pathologies du vieillissement, nous allons pouvoir par une meilleure compréhension mieux connaître les causes de ces pathologies liées au vieillissement et trouver des thérapeutiques. A titre d’exemple, quand nous vieillissons nous accumulons les cellules sénescentes et selon la façon dont nous avons vécu ces cellules sénescentes peuvent s’accumuler dans tel ou tel organe or maintenant nous avons un grand programme du gouvernement américain qui vise à étudier où sont ces cellules sénescentes, comment nous pouvons les mesurer, comment en faire une cartographie et étudier ensuite les différentes thérapeutiques visant soit à détruire soit à empêcher la sécrétion de ces cellules sénescentes qui petit à petit vont se propager à d’autres cellules et les rendre sénescentes. Cela ouvre d’autres perspectives thérapeutiques extrêmement importantes pour des pathologies tels que la maladie d’Alzheimer, l’insuffisance cardiaque, l’arthrose, l’altération du système immunitaire.
Comment le programme Icope est-il déployé en France et à l’international ? Avez-vous déjà des premiers résultats en termes de coût-efficacité ?
Le programme ICOPE suit les recommandations de l’OMS c’est-à-dire qu’il est passé devant tous les cribles de l’OMS avec suffisamment de preuves médicales et scientifiques pour le recommander. Il consiste en 5 étapes, la première est un screening pour repérer les différentes fonctions (facile à réaliser et peu coûteux, possible aussi en auto-évaluation en téléchargeant l’application gratuite ICOPE Monitor) puis si le screening est positif et que l’anomalie est nouvelle ou non déjà prise en charge il faut aller plus vers l’étape 2 puis après nous allons vers l’étape 3 où là nous retombons en principe dans le système de soins classique. Ensuite c’est le monitoring car nous continuons à vieillir et il faut continuer à suivre nos fonctions et la cinquième étape est que nous ayons un écosystème favorable. Le STEP 1 comprend un certain nombre de questions très simples telles que : est-ce que la personne est capable de se lever 5 fois d’une chaise sans s’aider des bras en moins de 14 secondes. Si quelqu’un est capable de le faire, elle a peu de risque de perdre la mobilité, si elle n’est pas capable de le faire elle a un risque important et à ce moment-là il faudra voir comment est-ce que nous pouvons agir.
Nous mettons en place un gros essai randomisé que nous appelons le RCT ICOPE France qui vise à étudier 1 000 patients, la moitié sera suivie par ICOPE et l’autre moitié aura le suivi habituel de leur médecin. Le but est d’étudier l’efficacité en terme économique mais aussi dans le maintien des capacités mais aussi également sur la biologie du vieillissement. Cette étude va prendre plusieurs années à être mise en place mais dès maintenant il faut bien sûr développer ICOPE car le programme ICOPE permet d’envoyer le bon patient au bon moment à son médecin. Les patients, qui viennent nous voir en consultation, certains ont pris des rendez-vous et ne viennent pas, d’autres prennent des rendez-vous et viennent pour des raisons pas toujours très évidentes, d’autres ont des pathologies chroniques et d’autres viennent vraiment au bon moment. Avec ICOPE, nous pourrons repérer la personne âgée qui perd du poids, l’appétit et qu’il faudra voir avant que cela ne soit trop tard, la personne qui se sent déprimée et qui a perdu l’envie de faire ce qu’elle aimait faire, la personne qui a un trouble de la mobilité ou la personne qui a un trouble de la mémoire qui nous inquiète. Cela permet donc de voir les bons patients au bon moment et c’est ainsi que nous avons pu repérer plusieurs milliers de patients qui avaient ces troubles et que nous avons pu remettre dans le système de soins. Le RCT ICOPE France montrera la pertinence d’ICOPE non seulement sur le bien vieillir, mais aussi en terme d’économie de santé et sur les marqueurs biologiques du vieillissement.
Comment fonctionne la plateforme de recherche translationnelle INSPIRE ?
La plateforme de recherche translationnelle INSPIRE comprend nos cohortes en miroir chez la souris, chez l’homme et chez les poissons qui permettent de répondre à des questions scientifiques différentes afin de mieux comprendre les déterminants de la perte des capacités intrinsèques, de rechercher des cibles thérapeutiques pour ensuite permettre de mieux vieillir. Elles font l’objet d’un certain nombre de publications scientifiques de plus en plus importantes et dans les plus grandes revues. Nos données sont aussi disponibles pour la communauté scientifique.
Quels sont selon vous les défis à venir à court, moyen et long terme pour préserver la longévité en bonne santé dans une société vieillissante ? Quel sera le rôle de l’IHU Health Age face à ces enjeux ?
Les défis sont multiples. Dans un premier temps, il faut arrêter de faire ce qui est nuisible. Nous avions fait une étude au CHU de Toulouse, 4ème CHU de France, où nous avions regardé les patients de plus de 70 ans et quel était leur niveau d’autonomie de base à l’entrée et à la sortie du CHU. Ces travaux, qui ont été publiés, montrent qu’il y avait à peu près 60 % des patients qui ressortent comme ils étaient mais 20 % se sont améliorés, sans doute que nous avons traité une pathologie qui leur était utile, et 20 % se sont aggravés. Dans ceux qui se sont aggravés, il y a la moitié pour lesquels nous n’avons pas d’explication médicale. Il s’agit sans doute de la dépendance nosocomiale. Il nous faut agir sur la dépendance nosocomiale comme nous avons su le faire pour les infections nosocomiales. C’est sans doute plusieurs dizaines de milliers de cas par an. Si nous arrêtons de faire ce qui n’est pas efficace et si nous adaptons notre système de santé pour mieux prendre en charge les personnes et les suivre en amont en maintenant leurs fonctions, nous pouvons avoir une société vieillissante qui peut être une grande force car les personnes qui ont un certain âge seront souvent plus disponibles pour rendre service à leurs proches.
C’est dans ce cadre que nous travaillons avec l’Académie Nationale de Médecine sur un rapport sur la Clinique de la longévité en santé, c’est-à-dire que faut-il faire de raisonnable et nécessaire pour bien vieillir ? Quel bilan annuel ? Cela nécessite de 1. Maintenir nos fonctions avec ICOPE et avoir un statut vaccinal optimal ce qui est de plus en plus complexe de nos jours, 2. de repérer les pathologies liées au vieillissement à un stade précoce afin de réparer l’organe avant qu’il ne soit trop tard et enfin 3. de bénéficier dans le futur des progrès de la géroscience.
Le rôle de l’IHU HealthAge est de développer la recherche translationnelle afin d’avoir de nouveaux biomarqueurs, de nouvelles thérapeutiques mais aussi d’avoir un système de soins qui est le plus adapté possible et d’aider à la formation.